Alexandre Texier

Le système télégraphique Chappe

Bien avant l’ère de l’hyperconnection et de la communication instantanée, le transport de l’information se faisait de mains en mains, à cheval notamment. Évidemment transmettre une information sur des centaines de kilomètres était un processus assez long, et d’un point de vue stratégique, celui qui pouvait transmettre rapidement des informations avait un avantage. C’est ainsi qu’en pleine période révolutionnaire Claude Chappe invente un télégraphe par sémaphore, permettant de transmettre des informations (surtout militaires) avec une rapidité inégalée pour l’époque. Suite à l’acceptation de son système par la Convention, la première ligne reliant Paris à Lille est mise en service en juillet 1794.

Anatomie du système

Le système Chappe est un sémaphore, c’est à dire un système visuel. Une ligne de communication est parsemée environ tous les 15 kilomètres par une “tour Chappe” en haut de laquelle se trouve le-dit sémaphore. Ce mécanisme se compose d’un mat, sur lequel vient s’accrocher le bras principal. À chacune des extrémités de ce bras on trouve un bras secondaire. L’ensemble est articulé et un système de contrepoids permet depuis l’intérieur de la tour de pouvoir modifier les positions du bras principal et de ses deux bras secondaires. La position de ces éléments étant définie et limitée, on peut créer de nombreux agencements différents, des codes. C’est ce qui forme la clef de voute de ce système visuel.

Coupe d’une tour Chappe avec son mécanisme – Wikimedia

La transmission des messages se fait de tour en tour, les opérateurs y étant stationnés étant chargés de surveiller à la lunette optique les autres tours de la ligne et de transmettre toutes les communications quand cela était nécessaire. De ce fait les transmissions de messages ne pouvaient se faire qu’en plein jour et par temps clair.

Le code

D’un usage avant tout militaire, il est nécessaire que les messages transmis soient cryptés, il serait sinon aisé d’intercepter un message. Le système s’accompagne donc d’un code rédigé par Chappe lui-même. Seuls les directeurs des stations de bout de ligne ont accès à celui-ci, les stationnaires eux ne devaient que reproduire les positions du mécanisme sans en connaitre le sens. Des inspecteurs étaient eux chargés de contrôler plusieurs stations afin d’en vérifier le bon fonctionnement.

Le système fonctionne sur une correspondance entre des nombres de 1 à 92 et des positions des bras d’une part, et de la correspondance des ces nombres à des mots ou expressions d’autre part. Le livre de code étant composé de 92 pages de 92 correspondances chacune, on obtient un total de 8464 possibilités si l’on utilise deux signaux par mot : un pour la page, un pour le mot. À cela s’ajoute des signaux de service, utilisés pour le contrôle général de la transmission et du fonctionnement du système :

Petite activité – Grande activité – Petite urgence – Grande urgence – Signal de réception – Signal d’attente – Signal de répétition – Signal de fin – Congé (1/2 heure) – Congé (2 heures) – Congé (3 heures) – Erreur – Suspension brumaire (problème météorologique ?) – Suspension d’absence – Suspension de petit dérangement – Suspension de grand dérangement (inspecteur requis) – Suspension de retard

À noter que certaines sources donnent 6 signaux, d’autres en montrent 18. Je n’ai pas pu établir plus précisément la qualité de ces sources. Il est également possible que le système était au début composé de 6 signaux de service, et que l’usage a nécessité la création de signaux supplémentaires.

Un message du 15 août 1794 – © Archives départementales du Nord - Musée 348

Par défaut, la tour est en position de contrôle, à la verticale. À partir de cette position on peut modifier la position des bras pour former un premier signal, puis un autre et ainsi de suite. Les différentes positions successives étaient notées telles quelles par les stationnaires et transmises au directeur en bout de ligne pour qu’il puisse décoder le message dans son ensemble. Les sources que j’ai pu trouver donnent des positions des bras et des correspondances chiffrées différentes. On peut inférer que le code fut modifié au fur et à mesure, voire était différent selon les lignes, pour améliorer sécurité des communications, mais cela reste une supposition.

L’arrivée de la télégraphie électrique à partir de 1845 va peu à peu remplacer le système Chappe, devenu trop lent. La dernière ligne sera ainsi fermée en 1855. Il ne subsiste aujourd’hui en France qu’une poignée de tour Chappe qui ne sont pas toujours conservées à titre patrimonial, la plupart étant à l’abandon ou utilisées pour une autre fonction.


  1. “Télégraphe Chappe”, wikipedia, (source)
  2. “Télégraphe”, wikipedia, (source)
  3. “Sémaphore (communication)”, wikipedia, (source)
  4. “Le télégraphe optique prussien”, wikipedia, (source)
  5. “Le télégraphe optique”, René Wallstein, universalis.fr (source)
  6. “Claude Chappe (1763 - 1805) – Le télégraphe, une affaire de famille”, Jean-François Liandier, herodote.net, 27/11/2018 (source)
  7. “Le système de codage Chappe”, Conservatoire des télécommunications d’Aquitaine, (source)
  8. Livre de vocabulaire de composition (1854), Conservatoire des télécommunications d’Aquitaine, (source pdf)
  9. Les merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes, Louis Figuier, BnF Gallica, pp. 2-62, 1868, (source)
  10. “The French telegraph explained”, The Gentleman’s magazine, v.76 pp. 992-992, 1794, (source ou source)
  11. “Historique sur la télégraphie Chappe”, Claude, Charbon, Fédération nationale des associations de personnel de la Poste et d’Orange pour la recherche historique (FNARH), (source)
  12. “Télégraphe Chappe”, Cl Wallart & Ch. Douyère-Demeulenaire, Histoire par l’image, mars 2016, (source)