Monotypie


Je discutais il y a peu avec l’un de mes collègues professeur à l’Ésad Orléans de mon attrait pour les systèmes d’écritures étranges, les tentatives de langues universelles. Celui-ci, – fortement impliqué dans l’organisation des Rencontres de Lure – m’a alors parlé d’un système qui avait été présenté aux dernières Rencontres par Sophie Pierret : la Monotypie.

De quoi s’agit-il ?

La source originale est une brochure de moins de 30 pages, parue en 1797, signée « par un citoyen français », qui pourrait se prénommer Thirion si l’on en croit une note ajoutée sur l’ouvrage. Passé la page titre, la brochure commence tout d’abord par un texte introductif général sur la langue et les systèmes d’écriture avant de proposer, évidemment, un nouveau système de représentation des sons de la langue, à « l’usage des Peuples de tous les Pays ».

Ce nouveau système a une particularité : il n’utilise qu’un seul caractère de base, composé de divers cercles disposés d’une part sur les rebords d’une forme circulaire (9 éléments) et d’autre part sur une barre verticale (3 éléments), soit 12 éléments au total. L’ensemble de ces cercles sont de base seulement des contours, mais en remplissant un ou plusieurs de ces cercles, ont obtient assez de combinaisons pour permettre d’associer à chacune d’elle un phonème, mais également les signes de ponctuations. On peut d’une certaine manière faire un parallèle avec la notation du braille, qui utilise également cette méthode de remplissage de points sur une grille. Cet ouvrage présente en tout 40 combinaisons, mais cela ne représente qu’une petite partie des possibilités offertes par ce système, si l’on s’en tient purement aux mathématiques. Notons que des variante sont dédiées à la représentation de l’ironie et de l’aparté (dans le sens téâtrale semble-t-il), et qu’il y a aussi une variante permettant de séparer les syllabes à l’intérieur d’un mot.

Les phonèmes sont représentés par la forme circulaire, dans la partie gauche du signe, en noircissant de 1 à 2 de ses cercles. La ponctuations est représentée sur la barre verticale, en noircissant de 1 à 3 cercles, mais également sur la forme circulaire, avec le noircissement de 3 cercles alignés.

Dans l'ordre : [a], [fe], la virgule, l'ironie

Une utopie illisible

Comme l’ensemble des propositions pour des systèmes d’écriture universelle, c’est sans surprise que la Monotypie n’a pas dépassée le stade de proposition.

Comme pour l’[Ehmay Ghee Chah], si la structure de base des glyphes est géométrique, symétrique et donc en quelque sorte conceptuellement logique, il est facile de voir que ce système est proprement inutilisable. Et ce problème tient à la construction du glyphe de base : il est très complexe de différencier facilemet et rapidement les phonèmes, les mots et la ponctuation entre eux (voir l’exemple si après). Le tout forme une sorte de grille de point compacte. La proposition montre le signe dans un corps relativement grand, mais il parait peut probable que l’on puisse en faire une version de petit corps. On serait donc contrain d’imprimer des ouvrages de grande taille avec des corps imposant. En terme d’économie pour l’impression, c’est le niveau zéro. Quid également de l’écriture manuscrite ? En l’état, je ne vois pas comment cela serait possible sans prendre des heures et des heures, tel un copiste, à former chacun des caractères.

« À tous les coeurs bien nés, que la patrie est chère ! Vive la République Française ! »

La Monotypie rejoint donc ses camarades : les systèmes d’écritures universels pensés pour mettre à égalité tous les hommes, construits par la logique pure et les mathématiques, mais qui ne sont proprement pas utilisables.

Comme quoi, penser trop comme un ingénieur et être guidé seulement par la raison pure ne donne pas que du bon, tout du moins pour ce qui est de la typographie.


  1. La Monotypie ou l’art d’écrire et d’imprimer avec un seul caractère, Thirion, 1797 (source Google books).
  2. “La Monotypie, une rêverie typographique révolutionnaire”, Sophie Pierret, Rencontres de Lure, 2022 (source).