Dans son texte The ciphers of the monks – A forgotten number-notation of the Middle Ages, paru en 2001, David A. King, historien spécialiste des mathématiques du monde arabe du Moyen-Âge, fait état de son travail de recherche autour de ce qu’il nomme les “codes des moines” [“ciphers of the monks”], un système graphique permettant d’écrire une valeur numérique comprise entre [1] et [9999], et ce en un seul signe composite.
Le système est très peu représenté, puisque King ne fait état de sa présence que sur 25 manuscrits. Il est cependant présent sur une très longue période puisque des occurrences du système s’étalent du XIIIe au XVIe siècle.
Origine
D’après King ce système aurait été inspiré par un système sténographique grec importé en Angleterre par le moine John de Basingstoke. Sa méthode permettait d’écrire des valeurs seulement comprises entre [1] et [99].
Bien que l’on puisse lui trouver des familiarités de forme avec la notation runique, la ressemblance est toutefois purement fortuite et aucune preuve d’un quelconque lien n’est démontré.
Après son introduction le système se serait répandu au delà de l’Angleterre, sur des territoires couvrant la Belgique et la France, voire au delà, et aurait dans le même temps évolué pour permettre l’écriture de valeurs allant de [1] à [9999]. On retrouve ce système principalement dans des manuscrits, où il servait à la rédaction d’index, pour de la pagination ou pour de la comptabilité.
Il faut comprendre qu’à l’époque le système romain, du type ‘MCMXCIII’ (pour [1993]) cohabitait avec le système indo-arabe qui n’était alors ni totalement implanté, ni majoritaire. De part son efficacité, ce système de notation pouvait donc être une bonne alternative à l’écriture à la romaine pour la notation de valeur numériques fixées, là ou les chiffres indo-arabes étaient quant à eux très propices aux calculs mathématiques.
Principes de construction
Le système fonctionne par des principes très simples. Un fût, vertical ou horizontal selon les variantes, sert d’axe principal que l’on vient séparer en quatre zones de part et d’autre du fût à ses extrémités. À chacune de ces zones est affecté à un ordre de grandeur : unités, dizaines, centaines et milliers.
Un signe est ensuite affecté à la notation des valeurs [1], [2], [3], [4], [5], [6], [7], [8], [9]. Ces signes sont la plupart de temps construits à partir de barres droites ou inclinées, parfois seules et parfois composées. Selon la zone dans lequel il se trouve, ce signe peut être modifié par symétrie ou rotation afin que son point de départ soit toujours placé au même endroit par rapport au fût central.
De ce fait des nombres tels que [11], [202] ou [4004] auront des constructions symétriques plus ou moins complètes, le maximum étant atteint pour les nombres dont les 4 chiffres sont les mêmes, comme [5555] ou [9999].
L’aspect visuel global du système peut faire penser à des sortes de clefs et l’on peut facilement les prendre pour des symboles ésotériques ou cabalistiques secrets, d’où le terme de ciphers (codes, dans un sens cryptographique) utilisé par King.
Les variantes
Si chacune des occurrences du système documenté par King possède des variantes de formations et de composantes, presque une par occurence d’ailleurs, on peut néanmoins distinguer deux grands modèles principaux : un modèle vertical et autre horizontal.
Le modèle vertical est plus caractéristique de l’actuelle Angleterre et est directement inspiré du système de Basingstoke. On trouve en bas à gauche les milliers, en bas à droite les centaines, en haut à gauche les dizaines et enfin les unités en haut à droite. Toutes les valeurs sont composées à partir de simples traits horizontaux, verticaux et obliques.
Le modèle horizontal, nommé cistercien par King, est lui horizontal, mais fonctionne avec les mêmes règles de construction. En plus des barres, des points sont utilisés dans certaines variantes pour la construction des éléments, en lieu et place des barres du modèle précédent.
Conclusion
Depuis la publication de son ouvrage, aucun autre travail sur ce sujet ne semble avoir été produit. Si d’après les critiques le travail de King est sérieux et fouillé, on peut tout de même imaginer que d’autres sources sont encore à découvrir et à étudier afin de compléter notre compréhension de ce système de notation numérique des moines.
À ce titre le travail effectué par David A. King serait alors un point de départ tout à fait pertinent à partir duquel on viendrait explorer d’autres voies. Après tout c’est la minceur du corpus connu qui rend l’étude de ce type de système graphique attrayant, et c’est également ce qui en fait son charme.
- The ciphers of the monks – A forgotten number-notation of the Middle Ages, David A. King, Franz Steiner Verlag, 2001
- “Système cistercien de notation numérique”, Wikipedia
- “David A. King , The Ciphers of the Monks. A forgotten Number-Notation of the Middle Ages”, Alain Boureau, Histoire & mesure XVIII 1/2, pp.199-201, 2003
- “David A. King, The Ciphers of the monks: A forgotten numbernotation of the Middle Ages” [compte-rendu], Revue d’histoire des sciences, 58-1, pp. 253-255, 2004
- “Wine-Gauging at Damme [The evidence of a late medieval manuscript]”, Ad Meskens - Germain Bonte - Jacques de Groot - Mike de Jonghe & David A. King, Histoire & Mesure, 14-1-2, pp. 51-77, 1999
- “Se mettre à l’heure des moines”, Loïc Mangin, pourlascience.fr, 10 octobre 2018