Typojis – A Few More Glyphs, Walter Bohatsch, 2017


À propos de l’auteur

Walter Bohatsch est un designer graphique et typographe autrichien, membre de l’AGI. Il a été un temps enseignant en design et en typographie et est le fondateur du studio de design graphique Bohatsch und Partner. Il a gagné plusieurs prix, dont « Le plus beau livre d’Autriche » en 1990, 2004 et 2007.

Un ouvrage de présentation d’un système typographique

Quand on tape « Walter Bohatsch » sur Google images, on tombe rapidement sur le projet qui est sans doute le plus célèbre de cet auteur : les Typojis, et notamment l’édition qui est associée.

Cet ouvrage, d’un format assez généreux de 187 × 250 cm pour 240 pages, est à la fois un spécimen, une présentation et un cahier d’apprentissage d’un caractère typographique comprenant 30 nouveaux signes de ponctuation signifiant les émotions et nommé Typojis. L’ouvrage est entièrement bilingue allemand-anglais et se segmente en plusieurs blocs. Le premier étant dédié à une présentation générale du système, suivi par une série de textes par des auteurs invités. L’essentiel du livre est occupé par un bloc de présentation des 30 signes, toujours présentés de la même manière : une photographie issue de la culture mondiale (politique, culture, etc.), le signe en pleine page, une double page de phrases d’exemple sur fond bleu en page de gauche, et en rouge en page de droite. Vient ensuite une double page en forme de cahier d’exercice de traçage du signe à la manière d’un cahier d’écolier, on peut ainsi s’entrainer au traçage de ces nouveaux glyphes. On finit par un spécimen complet du caractère typographique Typojis sur une page, montrant à la fois les 30 signes et les caractères usuels. À noter que l’ensemble de l’ouvrage est composé avec le-dit caractère, qui en soit suffit en tant que spécimen des caractères alphabétiques qui sont autrement moins mis en avant par rapport aux 30 signes pour les émotions.

Couverture de Typojis – A Few More Glyphs
La couverture de Typojis – A Few More Glyphs
Double-page d’introduction de Typojis – A Few More Glyphs
La page d’introduction
Présentation des typojis de Typojis – A Few More Glyphs
La double page de présentation des signes pour les émotions
Double-page de présentation d’un signe de Typojis – A Few More Glyphs
Une page de présnetation d’un des typoji

À propos des typojis

Les typojis (on fera ici usage de ce terme pour désigner les signes spécifiques du caractère) codent 30 sentiments et tons : Optimisme, Pessimisme, Euphémisme, Exagération, Sympathie, Antipathie, Enthousiasme, Scepticisme, Intégrité, Tolérance, Ignorance, Surprise, Déception, Solidarité, Rejet, Sagacité, Naïveté, Admiration, Ennui, Mépris, Curiosité, Autorité, Provocation, Séduction, Challenge, Aspiration, Modestie, Secret, Outrage, et Ironie. Leur construction est basée sur la construction des signes d’exclamation et d’interrogation, avec un point en bas et une forme plus ou moins courbe en chef.

Les 30 typojis de Walter Bohatsch
Les 30 typojis, codant pour les émotions

Certain signes codant pour des émotions opposées sont dessinés en symétrie, verticale par exemple pour l’Enthousiasme et le Scepticisme ou horizontale pour le cas de l’Euphémisme et de l’Exagération. Dans cette symétrie le point souscrit n’est jamais impacté, seul la partie supérieure l’est. Aucun de ces signes ne semblent pas s’inspirer de formes existantes de signes de ponctuation pour les émotions ou de formes graphiques connues. C’est particulièrement prégnant pour le signe pour la séduction, qui aurait pu évoquer une sorte de cœur, ce qui aurait indiqué la thématique générale invoquée.

Si certains signes sont faciles à écrire, d’autres le sont beaucoup moins, le signe pour la Provocation et la Séduction étant selon moi les plus difficile à prendre en main. Je sais que la pratique de l’écriture manuscrite s’amenuise, mais je me serai attendu à des formes avec un tracé relativement simple. On est bien là sur de la typographie, dans son sens mécanique, et pas dans la calligraphie, dans son sens manuel. D’ailleurs le caractère Andersen, dont j’ai parlé dans le billet précédent, et qui a une thématique similaire, n’est lui aussi pas adapté selon moi à un traçage manuel de ses signes. Dans les deux cas, on est là dans une proposition graphique pensée pour la composition de texte et sa lecture, pas pour son traçage.

Pour ce qui est de l’utilisation de ces 30 signes, c’est un simple système OpenType de ligature qui permet de les ajouter à un texte. Il suffit d’entourer le nom (anglais) du signe par les signes d’addition pour faire remplacer la formule par le signe correspondant. Par exemple pour l’Optimisme, on notera « +optimism+ ». Simple et efficace.

À propos du nom

Le terme « typoji » contraction assez claire de « typographie » et d’« emoji » évoque donc un système graphique bien connu de représentation d’émotions (bien que maintenant les emojis soient bien plus variés) sous forme de petites images. C’est là donc que je trouve que le nom donné, bien que je le comprenne, ne me semble pas le plus adapté. En effet l’intérêt des emojis réside dans leur forme illustrative, permettant, en théorie, une compréhension immédiate, ne nécessitant pas d’apprentissage particulier (c’est évidemment bien plus compliqué que cela) et donc adaptée à leur usage dans les conversations à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Ce sont des icônes. Selon moi, les typojis sont eux des signes à plus rapprocher du système de ponctuation, nécessitant donc un apprentissage de leur signification. Ce sont donc des symboles.

Disant cela, je ne résous pas le problème et il est clair que d’avoir choisi typoji connecte ce travail à une certaine contemporanéité en proposant des signes plus ‘typographiques’ et possiblement moins perturbant que les emojis, qui sommes toute ne sont quasiment pas utilisés dans la composition de textes littéraires par exemple, probablement car considérés comme trop familiers. Ce terme permet également d’inférer l’utilité et le domaine d’intervention de ce système. En cela le mot-valise typoji est tout à fait adapté. À vous maintenant de vous faire votre avis.


  1. Typojis – A Few More Glyphs, Walter Bohatsch, Verlag Hermann Schmidt, 2017 (source)
  2. Typojis – A few more glyphs, site web (source)
  3. Bohatsch und Partner, studio de design (source)
  4. “ Walter Bohatsch ”, wikipedia, (source)

Andersen : un caractère typographique avec des signes pour les émotions


Remarquant le manque de caractères typographiques dédiés aux livres pour la jeunesse, le designer graphique et typographe Thierry Fétiveau décide lors de ses études de confectionner un caractère typographique qui pourrait combler ce manque. Ainsi naquit le caractère Andersen, nommé en référence à l’écrivain danois Hans Christian Andersen, connu notamment pour ses contes de fées.

Point de départ

Étudiant de nombreux ouvrages dédiés à la jeunesse, Fétiveau remarque que les caractères utilisés sont soient très « classiques » (comme le Garamond ou le Times New Roman), soient très marqués et moins adaptés à la lecture de textes longs (comme l’Hobo). L’idée est donc de proposer un entre-deux, à la fois expressif mais adapté à du texte de labeur. Ce type de textes étant souvent lus à voix haute, par les parents le plus souvent, la création de signes permettant d’indiquer des émotions ou des tons permettraient d’aider à la lecture et de rendre l’oralisation de l’histoire plus attractive et adaptée. Pour avoir une mère assistante maternelle, je peux vous garantir que la lecture à des enfants peut être considérée comme un acte performatif et théâtral.

Le caractère

L’Andersen est finalisé en 2018 et est depuis disponible à l’achat chez 205TF en deux graisses : normal et gras, toutes deux disponibles en variantes romaines et italiques. Formellement l’Andersen est un caractère à empattements à faible contraste et ayant un rendu assez doux et rond. Dans le but de faciliter la lecture des personnes ayant des troubles dyslexiques, les lettres sont dessinés de sorte à faciliter la différentiation des lettres ayant des formes similaires comme le b, le d, le p et le q.

Le caractère Andersen © Thierry Fétiveau

Le système de signes pour les émotions

Comme évoqué plus haut, l’Andersen intègre une collection de 11 signes de ponctuation dédiés à l’indication des sentiments : amour, colère, dégoût, empressement, exaspération, inquiétude, joie, moquerie, peur, surprise & tristesse.

Formellement ces signes peuvent être considérés comme des déclinaisons des points d’interrogation et d’exclamation. Certains sont facilement déchiffrables, comme celui pour l’amour, dessinant un cœur, et d’autres nécessitent un apprentissage préalable, comme par exemple celui dédié à l’inquiétude. On reste ici dans une certaine tradition de la création de nouveaux signes de ponctuation, Hervé Bazin en tête, dont nous parlerons probablement un jour. En attendant, vous pouvez aller voir mon article sur le point d’interfinité.

Les 11 signes d’émotions du caractère Andersen © Thierry Fétiveau

Particularité d’usage, ces signes sont doubles : sur le mode espagnol, ils sont apposés à la fois en début de phrase en position retournée mais également à sa fin, en position normale cette fois. Le lecteur peut ainsi savoir dès le début d’une phrase quelle est la bonne intonation à prendre.

Afin de pouvoir les intégrer facilement au texte dans son logiciel de mise en page, une fonctionnalité OpenType permet de « coder » les signes, grâce à ce que l’on pourrait assimiler à des émoticônes. Pour signifier l’amour on écrira donc « 1<3 je t’aime <3 ». Le « 1 » permettant de générer la version renversée du signe. Pour la joie, on écrira « 1:D Je suis si heureuse de l’entendre :D ».

Exemple de la fonctionnalité OpenType permettant d’écrire les signes d’émotion © Thierry Fétiveau

Si tout l’attrait (à mon avis) de ce caractère réside dans cette proposition de signes de ponctuation notant les émotions et la fonction de « codage » de ces derniers empruntant aux émoticônes, l’Andersen est tout à fait utilisable comme caractère de labeur « conventionnel » grâce à ses nombreuses fonctionnalités Opentype le rendant très complet. À vous donc de le prendre en main.


  1. « Andersen », Thierry Fetiveau (source)
  2. « Typographie Andersen : le making-of », Thierry Fétiveau (source)
  3. Andersen, specimen, 205TF (source pdf)

Le point d’interfinité


Vous a-t-on déjà posée une question qui a à la fois un nombre infini de réponses et une aucune réponse ? Vous a-t-on déjà posé une question où au final, la question est bien plus intéressante que la ou les éventuelles réponses ? Si oui, le point d’interfinité est fait pour vous.

Interfinité, késako ?

Le point d’interfinité (interfinity sign en version originale) est une proposition de nouveau point de ponctuation proposé par Radim Peško, typographe, et Zak Kyes, designer, et initialement utilisé en 2010 dans Everything You Always Wanted to Know About Curating (Sternberg Press). Dans ce recueil d’interviews, un commissaire d’exposition avait tendance à poser beaucoup de questions. À priori trop. À priori des questions plus intéressantes que les réponses, des questions avec une infinité de réponse. À tel point que le besoin d’un signe typographique spécifique ce fit vraissemblablement ressentir.

Après tout, un point d’interrogation « classique » suffit-il pour des questions comme :
Est-ce Dieu existe ?
Quel est le sens de la vie ?
Êtes-vous heureux ?
But Why?

Le point d’interfinité est donc là pour signifier des interrogations qui vont déclencher bien plus qu’une réponse facile et rapide, une question qui se suffit à elle-même, une question sans réponse, une question qui en réponse amènera d’autres interrogations dans un cycle infini. Tout et son contraire en somme. Interrogation + infinité = interfinité. CQFD.

Anatomie

Du point de vue typographique, le point d’interfinité est beau de simplicité : un point d’interrogation dans lequel la partie supérieure a été remplacée par le signe « ∞ » utilisé en mathématiques pour signifier l’infini mais renversé verticalement. La forme est suffisamment proche du point d’interrogation pour permettre à la plupart des personnes de comprendre ce qu’évoque le signe, j’en ai en tout cas l’impression. De ce fait, parmi tous les tentatives d’ajout de nouveaux signes de ponctuation (ironie, aparté, etc.) qui ont été proposé jusqu’à présent, celui-ci me semble avoir la meilleure affordance, mais nous reparlerons de quelques une de ces propositions dans le futur je l’espère.

Le point dinterfinité, Radim Peško & Zak Kyes

Où le trouver ?

Depuis son introduction en 2010, ce signe typographique est inclus dans toutes les productions typographiques de Radim Peško. Il n’est néanmoins pas un signe officiellement reconnu dans Unicode, contrairement au point exclarogatif « ‽ » plus connu sous le nom d’interrobang. Sa diffusion est donc assez limitée en l’état, et je doute qu’elle aille beaucoup plus loin que le cercle des amateurs de créations typographiques.

Du reste, ce point d’interfinité a le mérite d’exister. Il a une construction à la fois simple et claire, il a été créé en réponse à un besoin spécifique pour lequel les outils déjà existant étaient jugés insuffisants. C’est ainsi qu’évolue la langue. À voir ce que l’avenir fera de cela.


  1. Everything You Always Wanted to Know About Curating, Hans Ulrich Obrist, Sternberg Press, 2010.
  2. “Interfinity mark”, Radim Peško, 14/03/2011 (source).
  3. “Interfinity mark specimen”, Radim Peško, 17/01/2018 (source).