Alexandre Texier

Pax Cultura

Benjamin Brillaud, alias Nota Bene sur YouTube, recevait il y a peu sur sa chaine secondaire Anthony Zurawski, responsable du Groupe d’aide en cas de sinistre patrimonial (GASP). Dans le contexte de la discussion et sur l’histoire de la naissance de la sauvegarde du patrimoine est évoqué un artiste russe, sa Pax cultura et, ce qui nous intéresse plus particulièrement, un signe pour la symboliser.

Le pacte de Roerich

Nicolas Roerich est un d’abord un peintre d’origine russe, théosophe, et grand voyageur. Ayant le souhait de voir le patrimoine culturel mieux protégé, en particulier en temps de guerre, il va esquisser un projet de traité international permettant de formaliser la chose, en se plaçant comme le pendant culturel de la Croix rouge. Ce projet aboutira en 1935, après diverses conférences, à la signature à Washington par les états de l’Union panaméricaine du Traité concernant la protection des institutions artistiques et scientifiques et des monuments historiques, plus succinctement appelé Pacte Roerich. Notons que l’idée de la protection des biens culturels n’était pas nouvelle puisqu’elle avait déjà été esquissée dans plusieurs conventions de La Haye (1899, 1907, 1922).

Le pacte reste encore aujourd’hui valable pour les pays signataires, et se voit complété suite à la seconde guerre mondiale par la convention de La Haye de 1954 portant sur les mêmes problématiques, intégrant cette fois des pays du monde entier.

Un signe pour la paix culturelle

Tout comme la Croix rouge possède un signe d’identification, Roerich va proposer un symbole signifiant la protection du patrimoine, la Bannière de la paix, dont la description sera intégrée dans l’article 3 du pacte :

Pour désigner les monuments et institutions mentionnés à l’article premier, on pourra se servir d’un drapeau distinctif conforme au modèle annexé au présent traité (un cercle rouge renfermant une triple sphère, le tout sur fond blanc).

La Bannière de la paix — Wikimédia

Le symbole est très simple, et si le cercle externe agit comme une muraille de protection des sphères, la signification de ces dernières est à mon sens moins évidente. Le parallèle à la trinité religieuse est assez facile à faire et Roerich ne la nie pas puisque ces trois cercles sont en fait directement tirés d’une icône religieuse d’Andrei Rublev. Il en trouve également des traces dans d’autres cultures, instillant indirectement le caractère universel de ce signe, et donc sa pertinence. Après la diffusion de son symbole, il rapportera des interprétations autres que religieuses :

One says that it is the past, present and future united by the circle of eternity. Others explain it as a religion, knowledge and art in the circle of culture.
[On dit que c’est le passé, le présent et le futur unis dans le cercle de l’éternité. D’autres expliquent que ce sont la religion, le savoir et l’art dans le cercle de la culture.]

Vient ainsi l’idée que le patrimoine est quelque chose qui traverse et lie les cultures dans le temps et l’espace, une interprétation et des significations plus conformes, il me semble, aux idées à l’origine de la création de ce symbole.

La bannière, le bouclier et le sceau

En 1996 nait le Comité international du Bouclier bleu (CIBB), un organisme directement hérité de Pacte Roerich, spécialement dédié à la protection du patrimoine culturel et qui prend en compte cette fois, en plus des menaces militaires, les menaces naturelles. Là encore, et sans surprise au vu du nom de ce comité, un symbole va être adopté sous la forme d’un écu damé de bleu et de blanc.

Le Bouclier bleu — Wikimédia

Entre la bannière de la paix qui m’évoque un kamon, le Bouclier bleu qui mène tout droit à l’héraldique européenne, on retourne là à une tradition très riche de l’identification par le signe graphique, ce qui est tout à fait cohérent dans les cas qui nous intéressent puisque ces deux signes doivent être apposés sur les lieux dont on requiert qu’ils soient épargnés et protégés des aléas. Ils intègrent ainsi une même maison, celle du patrimoine. D’ailleurs l’emblème du patrimoine mondial de l’UNESCO, dessiné par Michel Olyff et que je serai tenté de qualifier de sceau au vu de sa forme, et adopté par la Convention du patrimoine en 1978, est également à relever.

L’emblème du patrimoine mondial — Wikimédia

Évoquons enfin sur un plan plus local d’autres signes normés attachés au patrimoine en France, et que nous avons tous déjà rencontré : site classé, label musée de France ou encore monument historique, pour lequel vous trouverez d’ailleurs la charte graphique en format PDF ici.

Pour conclure, et en m’appuyant sans doute maladroitement sur mon Que sais-je ? dédié au blason, oserai-je proposer un « blason de la maison du patrimoine » reprenant la Bannière de la Paix, à savoir d’argent au cercle filé de gueule chargé de trois tourteaux de même.


  1. « Une force d’intervention pour protéger le patrimoine — Entretien avec Anthony Zurawski », Nota Bonus (chaine YouTube), 07/06/2024 (source)
  2. « Pacte Roerich », Wikipédia (source)
  3. « Roerich Pact », Wikipédia (source)
  4. « Nicolas Roerich », Wikipédia (source)
  5. « Traité concernant la protection des institutions artistiques et scientifiques et des monuments historiques, (Pacte Roerich). Washington, 15 avril 1935 », Comité international de la Croix rouge (source)
  6. « Banner of peace », Wikipédia (source)
  7. « Comité international du Bouclier bleu », Wikipédia (source)
  8. Blue shield International, theblueshield.org
  9. « L’emblème du patrimoine mondial », UNESCO (source)
  10. Le blason (7e édition), Geneviève d’Harcourt & Georges Durivault, Que sais-je ?, PUF, 1982(1949)

Symboliser le handicap

J’ai récemment regardé la captation d’un live de la chaîne YouTube La tronche en biais intitulée « Maladies (et handicaps) invisibles ». Au delà de la thématique abordée et clairement évoquée dans le titre de ce live, j’y ai appris qu’en France, 80% des handicaps étaient des handicaps invisibles. Cela inclut entre autres des troubles physiologiques ou psychologiques qui ne sont pas marqués sur les fronts des personnes. Pourtant quand on pense handicap, on pense prioritairement à un handicap physique. D’ailleurs, la signalisation du handicap reflète ce biais, puisque l’on montre une personne en fauteuil roulant. On représente ainsi des personnes handicapées par un type d’handicap qui ne concerne donc qu’au maximum 20% de celles-ci. Pourquoi donc associer visuellement le handicap à ce qui n’est au final qu’une très faible portion de la réalité ?

Un pictogramme international du handicap ?

Le pictogramme du handicap que nous connaissons tous c’est celui intégré à la norme ISO 7001, norme contenant 177 symboles spécifiquement dédiée aux symboles d’informations publiques, parue en 1980, mais dont la dernière mise à jour date de 2023.

Le pictogramme ISA notant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite

Ce symbole, dessiné dans sa première version par Susanne Koefoed en 1968 montre un fauteuil roulant stylisé et vu de côté. Dans sa version finale ce symbole représente une personne assise dans une fauteuil roulant grâce à l’ajout par Karl Montan d’un cercle en haut du siège du dessin original. On passe ainsi d’un fauteuil vide à un fauteuil occupé par une personne. Ce pictogramme est officiellement nommé ISA : International Symbol of Access (Symbole international d’accès), indiquant un lieu dont l’accès a été facilité pour les personnes à mobilité réduite. Dans la norme, son code est AC001. AC pour la catégorie « Accessibility » et 001 pour son index, le premier de cette catégorie. Ce pictogramme n’est donc pas à proprement parlé un pictogramme montrant le handicap, mais un pictogramme évoquant la résolution d’une problématique particulière, liée aux handicaps : la difficulté de déplacement et d’accès à certains lieux.

Un handicapé n’est pas une personne passive

Quelques dizaines d’années plus tard, entre 2009 et 2011, Tim Ferguson Sauder, Sara Hendre et Brian Glenney développent The Accessible Icon Project, un projet visant à créer et promouvoir un nouveau symbole graphique pour l’ISA qui serait moins stigmatisant. En effet le symbole original, très stylisé, montre une personne handicapée statique, là où pour ce trio, il faudrait plutôt montrer que les personnes handicapées sont actives et capables de faire les propres choix, plutôt que d’êtres déplacées de façon passive, ajoutant à leur mise au banc de la société. Le pictogramme original, pourtant très spécifique, était donc devenu un symbole du handicap de façon générale.

L’ISA revisité par The Accessible Icon Project

Dans cette nouvelle version libre de droit et en accès public, on remarque d’abord l’impression de mouvement et d’énergie du personnage, tête en avant, bras en arrière pour faire avancer son fauteuil. Ce dernier n’est d’ailleurs quasiment plus visible, puisque seule sa roue est figurée. Le dossier qui avait été transfiguré en personne par l’ajout du cercle est complètement enlevé au profit du personnage bien plus identifiable et plus proche du design des autres figures humaines présentes dans la norme ISO 7001 d’ailleurs. Si cette proposition n’a pas été officiellement intégrée à la norme elle-même, elle a été largement adoptée par le biais de son correspondant dans la norme Unicode via l’emoji « ♿ » et ses variations graphiques dépendantes des différents constructeurs de services numériques (Twitter, Apple, Facebook, etc.). Fait intéressant également, le MoMA a intégré cette proposition à sa collection permanente en 2013 et l’a présenté entre 2014 et 2015 dans l’exposition A Collection of Ideas, signe de l’importance du projet.

Pour une signalisation des handicaps et de leurs réalités

Comme je le disais en tout début de ce texte, on ne représente via l’ISA qu’une très petite partie de la réalité du handicap. Dans la captation du live est ainsi évoquée ce que je disais précédemment : en France, 80% des handicaps sont invisible. Aussi, et suite à l’organisation en 2018 d’un groupe de travail piloté par Cardiogen & la Fava-multi est proposé un pictogramme représentant les handicaps invisibles.

La proposition de pictogramme pour les handicaps invisibles

Le pictogramme reprend le fond bleu déjà en place dans les autres éléments d’information de ce type, et montre une personne de face faisant un signe de salut de la main et dont l’ombre projetée montre une personne en fauteuil faisant elle aussi un signe de la main. Une évocation assez cohérente de l’idée que ce que l’on voit cache peut-être la réalité d’une situation personnelle plus complexe. L’idée de la personne en fauteuil roulant comme symbole universel du handicap est reprise.

Évidemment d’autres pictogrammes montrant d’autres formes d’handicap existent, y compris dans la norme ISO 7001. On peut citer par exemple des pictogramme indiquant l’accessibilité à des chiens guides, l’adaptation à des personnes malentendantes ou malvoyantes. Cependant ils me semblent avoir une empreinte visuelle moins forte auprès du public que celle de l’ISA, qui, comme déjà évoqué, est devenu un symbole général du handicap et qui a par la même occasion biaisé notre compréhension du handicap et de ses formes bien plus variées que ce symbole peut nous le laisser penser.

Les pictogrammes pour l’accessibilité aux chiens guides, une adaptation des services aux malentendants et aux malvoyants

On remarque via ces exemples successifs que le rapport à l’image du handicap a changé. Au départ le pictogramme ne devait que rendre visible des moyens facilitant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite, et en particulier les personnes en fauteuil roulant, de façon très pragmatique. Aujourd’hui la question de l’accessibilité est (censée être) acquise, aussi les problématiques se sont déplacées vers des questions plus profondes de la vision même du handicap. L’idée est de sortir du cliché de la personne dépendante, comme le montre le pictogramme du projet The Accessible Icon Project, ou du handicap comme étant forcément un marqueur physique visible, ce qui n’est pas le cas de la majorité des handicaps, comme déjà vu.

Développer des pictogrammes montrant la variété des atteintes et des troubles physiques et psychologiques, c’est leur donner une existence publique et les sortir de l’ombre d’une part, et faire en sorte que les personnes les subissant puissent vivre d’une façon plus digne d’autre part. Créer un pictogramme puis en proposer une nouvelle version ou y adjoindre des compléments c’est, par certains aspects, un processus politique et social.


  1. « ISO 7001 », wikipedia (source)
  2. ISO 7001:2023 – Symboles graphiques – Symboles destinés à l’information du public enregistrés, ISO, 02/2023 (source)
  3. « International Symbol of Access », wikipedia (source)
  4. Accessible Icon Project, Sara Hendren & Brian Glenny, accessibleicon.org (source)
  5. « Accessible Icon Project: overview », Tim Ferguson-Sauder (source)
  6. « Wheelchair symbol », emojipedia.org (source)
  7. « Création du pictogramme handicap invisible dans les maladies rares », rendrevisible.fr, 28/11/2018 (source)
  8. « Handicap invisible », APF France handicap (source)
  9. « Connaissez-vous les pictogrammes de personnes en situation de handicap ? », handinorme.com, version du 27/12/2021 (source)
  10. « Pictogrammes », dans la rubrique Culture et handicap, Ministère de la Culture, 11/03/2019 (source)

Un signe lisible pendant 250 000 ans

Une résidence de recherche en design graphique associant L’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et le Signe, Centre national du graphisme pourrait sembler étonnante de prime abord, n’est-ce pas ?

Prospectives graphiques

Lancée en 2019 par le Signe, Prospectives graphiques est une résidence de recherche prise en charge par Sébastien Noguera (designer graphique) et Charles Gautier (chercheur) sur les enjeux de la signalétique des lieux de stockage des déchets radioactifs. Ces déchets radioactif ayant des demies-vies parfois très longues, les lieux de stockage de ces produits devront être actifs durant 250 000 ans. Il s’agit donc de trouver des solutions graphiques, typographiques ou plastiques pour signifier – au delà des cultures et des générations – le danger de ces lieux et des déchets qui s’y trouvent. Rien que cela.

Un système de sens multiple

L’enjeu de cette recherche et donc de penser un système complet pouvant être efficace sur un temps extrêmement long. Pour espérer fonctionner, le système doit être multi-modal, multi-support et multilingue.
Il invoque ainsi des questions d’ordre géographique sur le marquage du territoire concerné par le stockage : murs, monolithes, géoglyphes, barrières, panneaux et tout autres modalités de constructions ou d’aménagement du territoire permettant de faire comprendre l’aspect dangereux d’un lieu.
Il s’agit également de trouver des signes et des manières langagières de transmettre les instructions et les recommandations, via ce que l’on pourrait qualifier de pierre de Rosette avec des textes en différentes langues, mais aussi des éléments plus graphiques et illustratifs, à la manière de l’art rupestre, ou plus récemment, de la plaque envoyée dans l’espace sur le sonde Pioneer.
On tente par là de multiplier les voies de communication afin d’assurer la transmission du message. Si une langue disparait, des significations paraissant normales pour nous aujourd’hui ne le seront probablement plus dans 250 000 ans, les autres modes évoqués précédemment pourront palier à cette perte. En tout cas on l’espère.

Un dessin présentant un possible dispositif complet d’information sur un espace dangereux © Sébastien Noguera

Un signe pour la nocivité

Après un long travail de recherche sur des systèmes graphiques et de communication, un des premier axe de recherche a été de partir du signe de danger radioactif « ☢ » afin de lui ajouter des éléments signifiant les demies-vies des éléments concernés par ce marquage, rendant l’information de dangerosité plus précise. Le signe étant déjà bien connu, la proposition semble à la fois simple et facile à mettre en place.
S’est posé ensuite un questionnement plus large, à savoir la création d’un signe associé à la nocivité. Formellement cette proposition se base sur un triskèle, une forme triple, que l’on pourrait rapprocher du signe de la radioactivité dans son emprise visuelle globale. Néanmoins, là où le signe pour la radioactivité est découpé, géométrique et anguleux, ici le signe est unifié et a des courbes douces, arrondies voire d’aspect organique. Cet aspect organique est d’ailleurs tout a fait souhaité puisqu’il s’inspire du monde animal et des éléments d’avertissement visuel de certains animaux pour signifier aux prédateurs qu’ils sont venimeux (regardez les grenouilles dendrobates par exemple), ou pour parler avec des termes plus scientifique : l’aposématisme.

Un dessin présentant un monolithe affublé de la proposition de signe pour la nocivité © Sébastien Noguera

De mon point de vue de quelqu’un de 2023, ce signe organique et rond ne m’évoque pas vraiment le danger, ni aucune idée négative d’ailleurs. Ma culture visuelle actuelle associe le danger sous forme graphique à des dessins droits, piquant, anguleux, comme le signe pour la radioactivé « ☢ » ou celui pour le risque biologique « ☣ ». Est-ce donc un échec ? Et bien non, car ce n’est pas un problème solvable en 5 mois (la durée de la résidence) et par une seule proposition.

Vu l’enjeu du projet et sa temporalité d’action, seul des Nostradamus pourraient prédire le système graphique et les modes de communication des peuples (humains ou non d’ailleurs) et de leurs cultures qui fouleront la Terre dans des milliers d’année. Le projet de cette résidence n’était pas, il me semble, de résoudre le problème soulevé, mais plutôt de planter des graines de solutions qui seront à étudier, améliorer, critiquer et expérimenter sur un temps long.


  1. “Prospectives graphiques”, Sébastien Noguera & Charles Gautier, du 27/05/21 au 31/08/21, le Signe Centre national du Graphisme (source)
  2. “Au Signe, les artistes poursuivent leur réflexion sur la transmission de la mémoire de Cigéo”, ANDRA, 24/06/2021 (source)
  3. “Mémoire : Une journée d’étude autour de la résidence ‘Prospectives Graphiques’ ”, ANDRA, 25/03/2020 (source)
  4. “Prospectives Graphiques : signaler la présence des déchets radioactifs” (conférence), Sébastien Noguera, 09/03/2020 (source)
  5. “Nuclaire, avertir pour demain”, Marion Bothorel, Étapes n°255, mai 2020
  6. “Au secours ! Écrire le danger dans l’espace public”, Johannes Bergerhausen, Rencontres du 3e type, ENSAD Nancy & ANRT, 19 février 2018 (source)
  7. “Why danger symbols can’t last forever”, (vidéo), Chrisophe Haubursin – Vox, 26 janvier 2018 (source YouTube)
  8. “Que faire de nos déchets nucléaires ?”, 42 – La réponse à presque tout (émission), Arte, 23/10/2021 (source)

Panneau jaune

Habitué aux panneaux de signalisation avec fond rouge, le jaune-orange est plutôt associé, chez nous en tous cas, aux éléments de signalisation temporaires, en premier lieu lors de travaux de voirie. Aujourd’hui donc place à une petite anecdote sur la signalisation routière.

Red is the new Yellow

Si je vous dit panneau de signalisation octogonal, tout le monde comprend duquel il s’agit, puisque sa forme octogonale le rend unique dans le paysage de la signalétique routière. Ce panneau Stop, son fond rouge, son écriture blanche, tout le monde le connait. Il fait presque partie des meubles, comme s’il avait toujours été là.

Pourtant, aux origines de ce panneau, son fond n’était pas blanc sur fond rouge, mais noir sur fond jaune, d’après l’accord de standardisation américain de 1924. Ce n’est que plus tard que le fond fut changé pour le rouge que nous connaissons actuellement. Sa forme octogonale a elle été gardée, car elle permettait de différencier très clairement ce panneau, par sa forme unique, des autres du système de signalisation routière. Pourquoi donc ce changement de couleur ? Et bien la réponse est tout à faire pragmatique : à l’époque cette peinture jaune était celle qui était la plus résistante dans le temps, assurant une tenue de longue durée, plutôt pratique pour un élément de signalisation routière. Ce n’est donc que plus tard que la peinture rouge, une fois rendue assez résistante, fut adoptée et ce n’est qu’encore plus tard que l’effet de réflection lumineuse fut introduit.

Le panneau stop sur fond jaune
Le panneau stop sur fond jaune – wikimedia

C’est en 1954 que les États-Unis adoptent définitivement le changement de jaune au rouge pour le fond du panneau, et en 1968 qu’il fut adopté par la Convention de Vienne sur la signalisation routière, rendant le système routier cohérent à l’échelle mondiale.


  1. « Stop sign », Wikipedia (source)
  2. « The cost of Colour », § ’Stop for Yellow’, The Politics of Design, Ruben Pater, p.73, Bis publishers, 2017
  3. « Stop Signs Used to Be Yellow More Recently Than You Think », Reader’s Digest, Meghan Jones, 31 décembre 2017 (source)

Panneaux de signalisation anachroniques

Comme beaucoup j’ai passé mon permis de conduire, et donc mon code de la route. Passer ce dernier passe pour être la partie la plus ennuyeuse de l’apprentissage de la conduite. Personnellement je suis plutôt d’accord : c’est une étape obligatoire pour des raisons évidentes de sécurité avant d’être effectivement sur la route, mais passer 40 minutes à regarder des images et à appuyer sur des boutons, ce n’est pas très excitant. Le Code de la route, c’est un langage fait de règles, d’icônes, d’indices, de symboles, qu’il faut apprendre à voir, à comprendre et à lire avant de pouvoir tracer la route de manière sûre.

Des signes anachroniques ?

Parmi les nombreux panneaux figuratifs, deux m’ont toujours étonné par leur design. Il s’agit des panneaux indiquant un passage à niveau sans barrière et celui avec barrière, respectivement nommés A8 et A7 dans la nomenclature légale (A étant le groupe des panneaux de danger, de forme triangulaire). Le panneau A8 présente une locomotive à vapeur et la fumée qu’il émet. Le panneau A7 représente une barrière qui me parait être une barrière de jardin en bois typique.

Les panneaux de signalisation A7 et A8
Le panneau A7 (modèle 1977) et le panneau A8 (modèle 1977)

Hormis quelques exception à vertu historique, je pense que l’on peut admettre que les train à vapeur sont loin d’être la majorité des train circulant sur les voies ferrées françaises. Pour la barrière on peut dire que la forme actuelle (nomenclature G2) est tout de même très éloignée du design présenté sur le panneau. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé d’éléments historiques indiquant que cette forme correspondait effectivement à un type historique, mis à part une série de photographies de Paul Dubout (ici) montrant, en Australie, des barrières de part et d’autre d’un passage à niveau qui sont très proches du symbole du panneau. À noter que les dites barrières ne sont pas celles qui bloquent la voix, mais celles qui circonscrivent l’espace où voix ferrée et voix routière se rencontrent. On a peut-être là une origine du symbole sur le panneau, si le système australien et français ont des accointances, chose pour laquelle je n’ai aucune preuve.

On a donc là deux exemples de panneaux qui sont très clairement éloignés de la réalité des équipements contemporains, il représentent des éléments qui font écho à une période bien différente. Le panneau A7 a été introduit en 1946, et son symbole principal n’a pas évolué depuis, contrairement à l’évolution de l’équipement automatisé qu’il représente, dont la version actuelle a été formalisée en 1963 avec le dispositif G2, comprenant la barrière XK3, le signal lumineux R24 et les balises J10 (certains dispositifs ont été introduit dans la réglementation officielle après le début de leur utilisation). Le panneau A8, de manière similaire, a été introduit en 1946 et son symbole principal n’a pas évolué depuis, malgré l’arrivée de trains fonctionnant avec des technologies différentes qui on supplantés le train à vapeur.

Les versions historiques des panneaux A7 & A8 : 1946, 1952 et les versions actuelles de 1977.

Pour une mise à jour des symboles

Une question se formule alors : pourquoi ne pas mettre à jour le symbole présent sur ces panneaux, afin d’effacer cette dissonance entre l’élément réel et sa représentation simplifiée sur le panneau ? Après tout des panneaux plus récents montrent de manière plus adéquate l’évolution technologique des transports, avec par exemple le panneau annonçant la traversée d’une voix de tramway, datant de 1999, dans un graphisme assez proche du panneau A8. Évoquons également l’idéogramme annonçant une gare ferroviaire, introduit en premier lieu en 2008, avec un graphisme qui, chose rare, intègre un effet de perspective.

Le panneau A9b, signalant la traversée d’une voix de tramway (1998) et l’idéogramme ID12a signalant une gare ferroviaire (2008).

La signalisation routière est normée au niveau européen et international, avec le traité international de Vienne de 1968 (ici) suivi par l’accord européen de Genève de 1971 (ici). On peut comprendre qu’un changement de symbole puisse ne pas être aussi simple que cela, puisqu’il faudrait trouver un accord à l’échelle de plusieurs pays européens voire à l’échelle mondiale pour adopter un nouveau signe commun. Mais si des accords passés on pu être possibles, je ne vois pas pourquoi un addendum ou une mise à jour cohérente concernant ces deux panneaux ne soit pas possible.

Le problème du changement d’habitude

Évidemment le risque est de rencontrer des réticences quand à ce changement, sous prétexte de la difficulté à ré-apprendre ou d’une tradition à sauvegarder. Or, et on peut faire le parallèle avec la langue, tout système évolue et doit s’adapter aux changement de son environnement, des signes (ou des mots) disparaissent tandis que d’autres doivent être créés pour répondre à de nouveaux besoin. Enfin certains signes (ou mots) changent de sens. Auparavant le mot pour signifier « renard » était goupil, puis suite à la publication du Roman de Renart, le mot goupil a été petit à petit supplanté par le nouveau mot renard que nous connaissons (car un des personnage du Roman est un goupil se prénommant Renart). Rien n’empêche de faire de même avec les deux symboles qui nous intéressent. On peut envisager une période de transition présentant les deux formes cote à cote afin de contenter les plus conservateurs des usagers de la route. Si on propose des signes plus adaptés au contexte contemporain, et qui sont évidemment bien conçus, l’adoption se fera sans anicroche puisqu’elle paraitra comme logique.


  1. « Signalisation routière en France », Wikipédia (source)
  2. « Panneau de signalisation routière en France », Wikipédia (source)
  3. « Signalisation routière » (thème), routes.fandom.com (source)
  4. Arrêté du 22 octobre 1963 relatif à la signalisation routière, Journal Officiel de la République Française, 28 décembre 1963 (source pdf)
  5. « Convention de Vienne sur la signalisation routière », Wikipédia (source)
  6. « Accord européen de Genève sur la signalisation routière », Wikipédia (source)
  7. La totalité des images sont issues de wikimedia commons. Le tracé du symbole du panneau A8 de wikimedia présenté ici est légèrement différent du panneau réel, veuillez m’en excuser.