Alexandre Texier

Symboliser le handicap

J’ai récemment regardé la captation d’un live de la chaîne YouTube La tronche en biais intitulée « Maladies (et handicaps) invisibles ». Au delà de la thématique abordée et clairement évoquée dans le titre de ce live, j’y ai appris qu’en France, 80% des handicaps étaient des handicaps invisibles. Cela inclut entre autres des troubles physiologiques ou psychologiques qui ne sont pas marqués sur les fronts des personnes. Pourtant quand on pense handicap, on pense prioritairement à un handicap physique. D’ailleurs, la signalisation du handicap reflète ce biais, puisque l’on montre une personne en fauteuil roulant. On représente ainsi des personnes handicapées par un type d’handicap qui ne concerne donc qu’au maximum 20% de celles-ci. Pourquoi donc associer visuellement le handicap à ce qui n’est au final qu’une très faible portion de la réalité ?

Un pictogramme international du handicap ?

Le pictogramme du handicap que nous connaissons tous c’est celui intégré à la norme ISO 7001, norme contenant 177 symboles spécifiquement dédiée aux symboles d’informations publiques, parue en 1980, mais dont la dernière mise à jour date de 2023.

Le pictogramme ISA notant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite

Ce symbole, dessiné dans sa première version par Susanne Koefoed en 1968 montre un fauteuil roulant stylisé et vu de côté. Dans sa version finale ce symbole représente une personne assise dans une fauteuil roulant grâce à l’ajout par Karl Montan d’un cercle en haut du siège du dessin original. On passe ainsi d’un fauteuil vide à un fauteuil occupé par une personne. Ce pictogramme est officiellement nommé ISA : International Symbol of Access (Symbole international d’accès), indiquant un lieu dont l’accès a été facilité pour les personnes à mobilité réduite. Dans la norme, son code est AC001. AC pour la catégorie « Accessibility » et 001 pour son index, le premier de cette catégorie. Ce pictogramme n’est donc pas à proprement parlé un pictogramme montrant le handicap, mais un pictogramme évoquant la résolution d’une problématique particulière, liée aux handicaps : la difficulté de déplacement et d’accès à certains lieux.

Un handicapé n’est pas une personne passive

Quelques dizaines d’années plus tard, entre 2009 et 2011, Tim Ferguson Sauder, Sara Hendre et Brian Glenney développent The Accessible Icon Project, un projet visant à créer et promouvoir un nouveau symbole graphique pour l’ISA qui serait moins stigmatisant. En effet le symbole original, très stylisé, montre une personne handicapée statique, là où pour ce trio, il faudrait plutôt montrer que les personnes handicapées sont actives et capables de faire les propres choix, plutôt que d’êtres déplacées de façon passive, ajoutant à leur mise au banc de la société. Le pictogramme original, pourtant très spécifique, était donc devenu un symbole du handicap de façon générale.

L’ISA revisité par The Accessible Icon Project

Dans cette nouvelle version libre de droit et en accès public, on remarque d’abord l’impression de mouvement et d’énergie du personnage, tête en avant, bras en arrière pour faire avancer son fauteuil. Ce dernier n’est d’ailleurs quasiment plus visible, puisque seule sa roue est figurée. Le dossier qui avait été transfiguré en personne par l’ajout du cercle est complètement enlevé au profit du personnage bien plus identifiable et plus proche du design des autres figures humaines présentes dans la norme ISO 7001 d’ailleurs. Si cette proposition n’a pas été officiellement intégrée à la norme elle-même, elle a été largement adoptée par le biais de son correspondant dans la norme Unicode via l’emoji « ♿ » et ses variations graphiques dépendantes des différents constructeurs de services numériques (Twitter, Apple, Facebook, etc.). Fait intéressant également, le MoMA a intégré cette proposition à sa collection permanente en 2013 et l’a présenté entre 2014 et 2015 dans l’exposition A Collection of Ideas, signe de l’importance du projet.

Pour une signalisation des handicaps et de leurs réalités

Comme je le disais en tout début de ce texte, on ne représente via l’ISA qu’une très petite partie de la réalité du handicap. Dans la captation du live est ainsi évoquée ce que je disais précédemment : en France, 80% des handicaps sont invisible. Aussi, et suite à l’organisation en 2018 d’un groupe de travail piloté par Cardiogen & la Fava-multi est proposé un pictogramme représentant les handicaps invisibles.

La proposition de pictogramme pour les handicaps invisibles

Le pictogramme reprend le fond bleu déjà en place dans les autres éléments d’information de ce type, et montre une personne de face faisant un signe de salut de la main et dont l’ombre projetée montre une personne en fauteuil faisant elle aussi un signe de la main. Une évocation assez cohérente de l’idée que ce que l’on voit cache peut-être la réalité d’une situation personnelle plus complexe. L’idée de la personne en fauteuil roulant comme symbole universel du handicap est reprise.

Évidemment d’autres pictogrammes montrant d’autres formes d’handicap existent, y compris dans la norme ISO 7001. On peut citer par exemple des pictogramme indiquant l’accessibilité à des chiens guides, l’adaptation à des personnes malentendantes ou malvoyantes. Cependant ils me semblent avoir une empreinte visuelle moins forte auprès du public que celle de l’ISA, qui, comme déjà évoqué, est devenu un symbole général du handicap et qui a par la même occasion biaisé notre compréhension du handicap et de ses formes bien plus variées que ce symbole peut nous le laisser penser.

Les pictogrammes pour l’accessibilité aux chiens guides, une adaptation des services aux malentendants et aux malvoyants

On remarque via ces exemples successifs que le rapport à l’image du handicap a changé. Au départ le pictogramme ne devait que rendre visible des moyens facilitant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite, et en particulier les personnes en fauteuil roulant, de façon très pragmatique. Aujourd’hui la question de l’accessibilité est (censée être) acquise, aussi les problématiques se sont déplacées vers des questions plus profondes de la vision même du handicap. L’idée est de sortir du cliché de la personne dépendante, comme le montre le pictogramme du projet The Accessible Icon Project, ou du handicap comme étant forcément un marqueur physique visible, ce qui n’est pas le cas de la majorité des handicaps, comme déjà vu.

Développer des pictogrammes montrant la variété des atteintes et des troubles physiques et psychologiques, c’est leur donner une existence publique et les sortir de l’ombre d’une part, et faire en sorte que les personnes les subissant puissent vivre d’une façon plus digne d’autre part. Créer un pictogramme puis en proposer une nouvelle version ou y adjoindre des compléments c’est, par certains aspects, un processus politique et social.


  1. « ISO 7001 », wikipedia (source)
  2. ISO 7001:2023 – Symboles graphiques – Symboles destinés à l’information du public enregistrés, ISO, 02/2023 (source)
  3. « International Symbol of Access », wikipedia (source)
  4. Accessible Icon Project, Sara Hendren & Brian Glenny, accessibleicon.org (source)
  5. « Accessible Icon Project: overview », Tim Ferguson-Sauder (source)
  6. « Wheelchair symbol », emojipedia.org (source)
  7. « Création du pictogramme handicap invisible dans les maladies rares », rendrevisible.fr, 28/11/2018 (source)
  8. « Handicap invisible », APF France handicap (source)
  9. « Connaissez-vous les pictogrammes de personnes en situation de handicap ? », handinorme.com, version du 27/12/2021 (source)
  10. « Pictogrammes », dans la rubrique Culture et handicap, Ministère de la Culture, 11/03/2019 (source)

L’alphabet plastique d’Herbin

Auguste Herbin est un artiste plasticien et théoricien de la couleur français, né en 1882 et décédé en 1960. Il est en particulier connu comme étant une des figures de la peinture abstraite. C’est entre les années 40 et 50 qu’il développe une méthode pour créer ses compositions à partir d’une sélection de 26 couleurs et de 5 formes géométriques simples : carré, rectangle, cercle, triangle, demi-cercle. Ces éléments sont associés à une note musicale ainsi qu’à une lettre de l’alphabet. Ainsi chaque tableau créé est en fait à la fois une représentation visuelle du mot qui donne son nom à la composition plastique et une composition valant partition musicale.

Vendredi 1, 1951 – © Adagp, Paris

Ce travail mènera en 1946 à la publication d’Alphabet plastique, la théorisation de son système de création puis en 1949 celle de l’Art non figuratif, non objectif qui sera ensuite considéré comme une référence de la théorisation de la couleur et un livre de chevet des artistes de l’abstraction semble-t-il.

L’alphabet plastique – © Françoise Bahoken

Un système taillé pour la pédagogie

Difficile de ne pas voir le potentiel créatif de cette méthode de construction de compositions graphiques, et il est clair que quelques minutes sur un moteur de recherche vous montreront quelques adaptations pédagogiques de ce système. L’alphabet plastique permet en effet d’à la fois exercer ses compétences en géométrie par l’apprentissage des figures de base et de s’initier aux arts plastiques par le biais de la gestion des couleurs et la création de compositions graphique. Cela sans compter également les possibilités de création sonores et du lien évident avec la synesthésie. Quand on peut associer par la pédagogie et le ludisme les arts plastiques, la musique et les sciences, il faut saisir cette occasion.

De quoi donc décliner ce système en toutes sortes de choses : exercices de pure géométrie mathématique, de peinture, de collage, et ce avec des tout petits comme avec des plus grands. Pourquoi pas également un cahier d’initiation, à la manière du Livret d’initiation plastique et du Cahier d’exploration graphique tels que pensés par Sophie Cure & Aurélien Farina ?

Ensuite il n’y aura plus qu’à faire un normographe, une application de dessin et un caractère typographique avec quelques fonctions de randomisation, non ? Pour le caractère typographique, je suis sur le coup.


  1. « Auguste Herbin », wikipedia.org (source).
  2. L’Art non figuratif non objectif, Auguste Herbin, Hermann (1949)2012
  3. « Auguste Herbin », Galerie Denise René (source)
  4. « L’alphabet plastique d’Herbin », Françoise Bahoken, 07/03/2022 (source)
  5. « Collection Herbin, documentation pédagogique », Musée Matisse Le cadeau-cambrésis (source pdf)
  6. « Vendredi 1 » (fiche de référence de l’œuvre), Centre Pompidou (source)

Teranoptia, un caractère typographique pour créer des chimères

Un caractère typographique c’est avant-tout un objet permettant d’écrire. Il contient en premier lieu des lettres, mais aussi des signes de ponctuation et d’autres signes utiles à la composition courante de textes. Le caractère Teranoptia lui ne permet rien de tout cela, d’ailleurs il ne contient absolument aucune lettres, et c’est cela qui en fait une proposition intéressante.

Créer des chimères en appuyant sur son clavier

Pensé par Ariel Martín Pérez et édité par la fonderie Tunera Type Foundry (dont il est le fondateur), Teranoptia est un caractère à chasse fixe dingbat, c’est à dire un caractère dont les glyphes ne sont pas des correspondances directes des lettres avec lesquelles elles sont associées. Pour le dire autrement, si j’appuie sur la touche « A » de mon clavier, je n’obtiens pas la lettre « A », mais un signe qui n’a pas forcément de rapport avec un « A ». Les caractères dingbat sont souvent des caractères utilitaires complétant par des collections de symboles des caractères typographiques plus « normaux ». On entre ainsi dans le monde des systèmes typo-graphiques, si je puis me permettre cette notation.

Dans le cas présent ce caractère permet d’associer des « morceaux » de créatures afin de créer des chimères plus ou moins élaborées et plus ou moins fantastiques. Le « a » est associé à une tête de serpent, le « f » à un corps de dragon, le « o » à une queue de requin, et ainsi de suite. Avec un total de 30 morceaux uniques disponibles et en comptant les 30 copies symétriques de ces morceaux, les possibilités sont grandes. Formellement il est difficile de ne pas évoquer les livres et jeux pour enfants type Méli-Mélo où l’on peut mélanger des parties d’animaux (tête, tronc, queue) afin de créer de nouvelles créature hybridées. Teranoptia fait finalement la même chose, mais typographiquement.

Caractère typographique Teranoptia
Quelques exemples de créatures – Ariel Martín Pérez

En plus de ces éléments se trouvent 17 « portails » – rappelant la mécanique principale du célèbre jeu vidéo Portal – qui permettant de créer des « ponts » verticaux ou horizontaux entre les blocs de chimères, augmentant encore les possibilités de jeux visuels puisque que l’on peut développer ses créatures sur plusieurs lignes à la fois.

Caractère typographique Teranoptia
Composition impliquant les portails – Ariel Martín Pérez

Une inspiration historique

De l’aveu même du de son créateur, Teranoptia est inspiré de la Tapisserie de Bayeux et par les illustrations médiévales et effectivement on retrouve dans les manuscrits médiévaux un bestiaire assez complet : des animaux réels, des animaux réels mais très mal reproduits (surtout pour les animaux exotiques) et évidemment des créatures mythiques issus de la Bible notamment.

D’ailleurs les bestiaires étaient des ouvrages semble-t-il très populaires au XIIe et XIIIe siècles, où les animaux et les créatures étaient des supports à la réflexion ésotérique et philosophique. Peut-on voir ici un parallèle avec les Fables de La Fontaine, publiées au XVIe siècle ? Possiblement. Pour les intéressés vous pouvez voir ici un Bestiaire appartenant aux collections du musée Getty (Los Angeles), permettant de télécharger des images haute résolution des pages de l’ouvrage.

Dragon ailé extrait du Ms. Ludwig XV 4
Dragon ailé, détail du Ms. Ludwig XV 4 (83.MR.174), fol. 94

A-t-on donc ici un caractère typographique « utile » ? Non. Est-ce un problème ? Et bien non. Que les typographes proposent des détournement de leur media et nous permettent de nous amuser avec leurs expérimentations est une bonne chose. C’est une manière d’explorer et de profiter des possibilités offertes par les caractères typographiques d’une façon originale, autant pour les utilisateurs que pour les typographes eux-même j’imagine. Ce caractère étant distribué sous licence libre SIL Open Font, il serait dommage de ne pas en profiter, alors télécharger-le et amusez-vous.


  1. Teranoptia (caractère typographique), Ariel Martín Pérez, Tunera Type Foundry, 2021 (source)
  2. Teranoptia (specimen), Ariel Martín Pérez, Tunera Type Foundry, 2021 (source pdf)

Un signe lisible pendant 250 000 ans

Une résidence de recherche en design graphique associant L’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et le Signe, Centre national du graphisme pourrait sembler étonnante de prime abord, n’est-ce pas ?

Prospectives graphiques

Lancée en 2019 par le Signe, Prospectives graphiques est une résidence de recherche prise en charge par Sébastien Noguera (designer graphique) et Charles Gautier (chercheur) sur les enjeux de la signalétique des lieux de stockage des déchets radioactifs. Ces déchets radioactif ayant des demies-vies parfois très longues, les lieux de stockage de ces produits devront être actifs durant 250 000 ans. Il s’agit donc de trouver des solutions graphiques, typographiques ou plastiques pour signifier – au delà des cultures et des générations – le danger de ces lieux et des déchets qui s’y trouvent. Rien que cela.

Un système de sens multiple

L’enjeu de cette recherche et donc de penser un système complet pouvant être efficace sur un temps extrêmement long. Pour espérer fonctionner, le système doit être multi-modal, multi-support et multilingue.
Il invoque ainsi des questions d’ordre géographique sur le marquage du territoire concerné par le stockage : murs, monolithes, géoglyphes, barrières, panneaux et tout autres modalités de constructions ou d’aménagement du territoire permettant de faire comprendre l’aspect dangereux d’un lieu.
Il s’agit également de trouver des signes et des manières langagières de transmettre les instructions et les recommandations, via ce que l’on pourrait qualifier de pierre de Rosette avec des textes en différentes langues, mais aussi des éléments plus graphiques et illustratifs, à la manière de l’art rupestre, ou plus récemment, de la plaque envoyée dans l’espace sur le sonde Pioneer.
On tente par là de multiplier les voies de communication afin d’assurer la transmission du message. Si une langue disparait, des significations paraissant normales pour nous aujourd’hui ne le seront probablement plus dans 250 000 ans, les autres modes évoqués précédemment pourront palier à cette perte. En tout cas on l’espère.

Un dessin présentant un possible dispositif complet d’information sur un espace dangereux © Sébastien Noguera

Un signe pour la nocivité

Après un long travail de recherche sur des systèmes graphiques et de communication, un des premier axe de recherche a été de partir du signe de danger radioactif « ☢ » afin de lui ajouter des éléments signifiant les demies-vies des éléments concernés par ce marquage, rendant l’information de dangerosité plus précise. Le signe étant déjà bien connu, la proposition semble à la fois simple et facile à mettre en place.
S’est posé ensuite un questionnement plus large, à savoir la création d’un signe associé à la nocivité. Formellement cette proposition se base sur un triskèle, une forme triple, que l’on pourrait rapprocher du signe de la radioactivité dans son emprise visuelle globale. Néanmoins, là où le signe pour la radioactivité est découpé, géométrique et anguleux, ici le signe est unifié et a des courbes douces, arrondies voire d’aspect organique. Cet aspect organique est d’ailleurs tout a fait souhaité puisqu’il s’inspire du monde animal et des éléments d’avertissement visuel de certains animaux pour signifier aux prédateurs qu’ils sont venimeux (regardez les grenouilles dendrobates par exemple), ou pour parler avec des termes plus scientifique : l’aposématisme.

Un dessin présentant un monolithe affublé de la proposition de signe pour la nocivité © Sébastien Noguera

De mon point de vue de quelqu’un de 2023, ce signe organique et rond ne m’évoque pas vraiment le danger, ni aucune idée négative d’ailleurs. Ma culture visuelle actuelle associe le danger sous forme graphique à des dessins droits, piquant, anguleux, comme le signe pour la radioactivé « ☢ » ou celui pour le risque biologique « ☣ ». Est-ce donc un échec ? Et bien non, car ce n’est pas un problème solvable en 5 mois (la durée de la résidence) et par une seule proposition.

Vu l’enjeu du projet et sa temporalité d’action, seul des Nostradamus pourraient prédire le système graphique et les modes de communication des peuples (humains ou non d’ailleurs) et de leurs cultures qui fouleront la Terre dans des milliers d’année. Le projet de cette résidence n’était pas, il me semble, de résoudre le problème soulevé, mais plutôt de planter des graines de solutions qui seront à étudier, améliorer, critiquer et expérimenter sur un temps long.


  1. “Prospectives graphiques”, Sébastien Noguera & Charles Gautier, du 27/05/21 au 31/08/21, le Signe Centre national du Graphisme (source)
  2. “Au Signe, les artistes poursuivent leur réflexion sur la transmission de la mémoire de Cigéo”, ANDRA, 24/06/2021 (source)
  3. “Mémoire : Une journée d’étude autour de la résidence ‘Prospectives Graphiques’ ”, ANDRA, 25/03/2020 (source)
  4. “Prospectives Graphiques : signaler la présence des déchets radioactifs” (conférence), Sébastien Noguera, 09/03/2020 (source)
  5. “Nuclaire, avertir pour demain”, Marion Bothorel, Étapes n°255, mai 2020
  6. “Au secours ! Écrire le danger dans l’espace public”, Johannes Bergerhausen, Rencontres du 3e type, ENSAD Nancy & ANRT, 19 février 2018 (source)
  7. “Why danger symbols can’t last forever”, (vidéo), Chrisophe Haubursin – Vox, 26 janvier 2018 (source YouTube)
  8. “Que faire de nos déchets nucléaires ?”, 42 – La réponse à presque tout (émission), Arte, 23/10/2021 (source)

Le système télégraphique Chappe

Bien avant l’ère de l’hyperconnection et de la communication instantanée, le transport de l’information se faisait de mains en mains, à cheval notamment. Évidemment transmettre une information sur des centaines de kilomètres était un processus assez long, et d’un point de vue stratégique, celui qui pouvait transmettre rapidement des informations avait un avantage. C’est ainsi qu’en pleine période révolutionnaire Claude Chappe invente un télégraphe par sémaphore, permettant de transmettre des informations (surtout militaires) avec une rapidité inégalée pour l’époque. Suite à l’acceptation de son système par la Convention, la première ligne reliant Paris à Lille est mise en service en juillet 1794.

Anatomie du système

Le système Chappe est un sémaphore, c’est à dire un système visuel. Une ligne de communication est parsemée environ tous les 15 kilomètres par une “tour Chappe” en haut de laquelle se trouve le-dit sémaphore. Ce mécanisme se compose d’un mat, sur lequel vient s’accrocher le bras principal. À chacune des extrémités de ce bras on trouve un bras secondaire. L’ensemble est articulé et un système de contrepoids permet depuis l’intérieur de la tour de pouvoir modifier les positions du bras principal et de ses deux bras secondaires. La position de ces éléments étant définie et limitée, on peut créer de nombreux agencements différents, des codes. C’est ce qui forme la clef de voute de ce système visuel.

Coupe d’une tour Chappe avec son mécanisme – Wikimedia

La transmission des messages se fait de tour en tour, les opérateurs y étant stationnés étant chargés de surveiller à la lunette optique les autres tours de la ligne et de transmettre toutes les communications quand cela était nécessaire. De ce fait les transmissions de messages ne pouvaient se faire qu’en plein jour et par temps clair.

Le code

D’un usage avant tout militaire, il est nécessaire que les messages transmis soient cryptés, il serait sinon aisé d’intercepter un message. Le système s’accompagne donc d’un code rédigé par Chappe lui-même. Seuls les directeurs des stations de bout de ligne ont accès à celui-ci, les stationnaires eux ne devaient que reproduire les positions du mécanisme sans en connaitre le sens. Des inspecteurs étaient eux chargés de contrôler plusieurs stations afin d’en vérifier le bon fonctionnement.

Le système fonctionne sur une correspondance entre des nombres de 1 à 92 et des positions des bras d’une part, et de la correspondance des ces nombres à des mots ou expressions d’autre part. Le livre de code étant composé de 92 pages de 92 correspondances chacune, on obtient un total de 8464 possibilités si l’on utilise deux signaux par mot : un pour la page, un pour le mot. À cela s’ajoute des signaux de service, utilisés pour le contrôle général de la transmission et du fonctionnement du système :

Petite activité – Grande activité – Petite urgence – Grande urgence – Signal de réception – Signal d’attente – Signal de répétition – Signal de fin – Congé (1/2 heure) – Congé (2 heures) – Congé (3 heures) – Erreur – Suspension brumaire (problème météorologique ?) – Suspension d’absence – Suspension de petit dérangement – Suspension de grand dérangement (inspecteur requis) – Suspension de retard

À noter que certaines sources donnent 6 signaux, d’autres en montrent 18. Je n’ai pas pu établir plus précisément la qualité de ces sources. Il est également possible que le système était au début composé de 6 signaux de service, et que l’usage a nécessité la création de signaux supplémentaires.

Un message du 15 août 1794 – © Archives départementales du Nord - Musée 348

Par défaut, la tour est en position de contrôle, à la verticale. À partir de cette position on peut modifier la position des bras pour former un premier signal, puis un autre et ainsi de suite. Les différentes positions successives étaient notées telles quelles par les stationnaires et transmises au directeur en bout de ligne pour qu’il puisse décoder le message dans son ensemble. Les sources que j’ai pu trouver donnent des positions des bras et des correspondances chiffrées différentes. On peut inférer que le code fut modifié au fur et à mesure, voire était différent selon les lignes, pour améliorer sécurité des communications, mais cela reste une supposition.

L’arrivée de la télégraphie électrique à partir de 1845 va peu à peu remplacer le système Chappe, devenu trop lent. La dernière ligne sera ainsi fermée en 1855. Il ne subsiste aujourd’hui en France qu’une poignée de tour Chappe qui ne sont pas toujours conservées à titre patrimonial, la plupart étant à l’abandon ou utilisées pour une autre fonction.


  1. “Télégraphe Chappe”, wikipedia, (source)
  2. “Télégraphe”, wikipedia, (source)
  3. “Sémaphore (communication)”, wikipedia, (source)
  4. “Le télégraphe optique prussien”, wikipedia, (source)
  5. “Le télégraphe optique”, René Wallstein, universalis.fr (source)
  6. “Claude Chappe (1763 - 1805) – Le télégraphe, une affaire de famille”, Jean-François Liandier, herodote.net, 27/11/2018 (source)
  7. “Le système de codage Chappe”, Conservatoire des télécommunications d’Aquitaine, (source)
  8. Livre de vocabulaire de composition (1854), Conservatoire des télécommunications d’Aquitaine, (source pdf)
  9. Les merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes, Louis Figuier, BnF Gallica, pp. 2-62, 1868, (source)
  10. “The French telegraph explained”, The Gentleman’s magazine, v.76 pp. 992-992, 1794, (source ou source)
  11. “Historique sur la télégraphie Chappe”, Claude, Charbon, Fédération nationale des associations de personnel de la Poste et d’Orange pour la recherche historique (FNARH), (source)
  12. “Télégraphe Chappe”, Cl Wallart & Ch. Douyère-Demeulenaire, Histoire par l’image, mars 2016, (source)